OL – Olympique Lyonnais : Chronique d’une transition ratée
Publiée le 07 février 2023
3 dates charnières dans l’histoire de l’Olympique Lyonnais :
1989, l’OL accède à la division 1 (2 ans après l’arrivée de Jean-Michel Aulas comme Président) ; 2008, l’OL est champion de France pour la 7ème année consécutive ; 2020, l’OL termine 7ème de Ligue 1, non qualifiée pour l’Europe pour la 1ère fois depuis 22 ans …
Une lente dégringolade depuis 2008
Le constat est sans équivoque : depuis le summum de l’hégémonie lyonnaise sur la planète football en 2008, les supporters lyonnais assistent à une lente et, semble-t-il, insoluble dégringolade de leur club. Pourtant, les entraîneurs qui se sont succédé ces dernières années sont loin d’être incompétents, ayant tous faits leur preuve par le passé.
Est-ce donc vraiment de ce côté-là que se trouve la clé ? A priori non …
Sur l’ensemble de cette période (1989 à nos jours), deux éléments importants sont à mettre en exergue : un fil rouge en la personne du Président du Club (Jean-Michel Aulas), et un virage dans la dimension économique du club : la construction du nouveau stade à partir de 2012.
Gardons ces éléments en tête, ils seront importants pour la suite.
Les 3 pouvoirs d’un club sportif
En aparté, un triptyque économique élémentaire pour appréhender la gestion (très particulière) d’un club de foot (cf interview Rémi Garde) : la réussite d’un club professionnel de football est soumise à la prise en considération synchrone de 3 grands pouvoirs interdépendants. Le pouvoir économique (le club doit être rentable), le pouvoir sportif (le club doit s’appuyer sur des résultats sportifs positifs) et le pouvoir médiatique (véhicule de communication dont les différents acteurs du club peuvent se servir). Nous pouvons même rajouter un 4ème paramètre très important dans l’équation : l’histoire du club, et donc sa culture populaire.
Le pouvoir économique dominant
La lente dégringolade depuis l’ultime titre de l’OL en 2008 coïncide avec le projet du nouveau stade à Décines. Inauguré en 2016, sa construction avait commencée en 2012, sur une idée de 2007.
Economiquement ce projet illustre le génie économique de Jean-Michel Aulas (qui l’avait d’ailleurs déjà prouvé par le passé avec la création de la holding OL Groupe), qui fera de l’OL l’un des exemples à suivre en termes de gestion économique dans le monde du foot.
Sur le plan sportif, cette période de projet du grand stade coïncide avec les mauvais résultats sportifs. Les explications sont probablement multiples, mais il est légitime de constater une tendance de fond : le pouvoir économique a pris le pas sur le pouvoir sportif. Et comme l’indique Arsène Wenger (ex-entraîneur d’Arsenal) : « Quand l’économique prend le pas sur le sportif, c’est mauvais signe … ».
Force est de constater, factuellement, les signes visibles de cette négligence au niveau sportif.
Un encadrement sportif mis au second plan
L’encadrement sportif n’est plus assuré par des figures historiques du club, et les exemples sont nombreux : abandon des entraîneurs de la maison (Rémi Garde, Bruno Genesio, Hubert Fournier, …), retrait de certaines figures emblématiques du Club sur le projet sportif (Juninho comme Directeur Sportif) et surtout : départ à la retraite du conseiller historique de JMA au niveau sportif : Bernard Lacombe …
Au-delà de ces échecs, il est surtout intéressant de relever une sorte de rancœur de la part de ces personnalités : toutes ont témoigné de manière très réservée, voire négative au départ du club.
Sur le cœur du projet sportif, c’est-à-dire les joueurs, il est difficile de ne pas déplorer les échecs : alors que la grande équipe des années 2000 était, au-delà de ces talents sportifs, animée par un état d’esprit remarquable, cette flamme n’a jamais été retrouvée. Aussi bien dans le recrutement (certaines grandes stars n’ont pas garanti le retour à des résultats convaincants) que dans l’arrivée des jeunes du fameux centre de formation de l’OL. Autrement dit, il semble que ce qui faisait l’ADN et le succès du club il y a qqs années (structures plus familiales, projet à taille humaine, transmission des valeurs par les anciens du club) s’est perdu avec l’arrivée du nouveau stade et du nouveau projet économique …
Les médias
Vincent Duluc, journaliste sportif spécialiste du club lyonnais, fait ce même constat : « Un des problèmes à Lyon actuellement, c’est que les joueurs sont trop protégés ou pas assez mis sous pression. Il n’y a plus personne de foot dans l’organigramme pour mettre la pression. Bruno Cheyrou n’a pas cette légitimité, Ponsot ne peut pas le faire sur le foot, Jean-Michel Aulas ne le fait plus, alors que dans le temps Gérard Houllier et Bernard Lacombe pouvaient le faire. Il manque quelqu’un. Pour le faire, il faut un entraîneur, mais aussi quelqu’un du club ».
Jean-Michel Aulas et le 3ème pouvoir
Jean-Michel Aulas a donc privilégié le volet économique, mais au détriment du sportif pour lequel il n’a pas su préserver l’état d’esprit familial et la culture du club. Peut-on le blâmer pour cela ? L’équilibre est tout de même très compliqué à trouver (le PSG, toute proportion gardée, ne fait pas tellement mieux), et sans doute s’agit-il d’un excès de pouvoir : il aurait probablement été inspiré de confier les clés du sportif à une figure historique du club, afin de trouver le meilleur équilibre possible et d’établir un trait d’union entre l’ancien OL et le nouveau.
Surtout : il a très mal géré le 3ème pouvoir (celui des médias, de la communication). S’il a été très bon en communication pendant des années, avec également des fonctions politiques utiles au club au niveau des instances du football, il a montré énormément de limites ces dernières années, notamment avec les nouveaux outils que constituent les réseaux sociaux … Il s’agit là de véritables bombes en termes de communication, caractérisées par une immédiateté qui demande une véritable maîtrise.
Jean-Michel Aulas manie mal ces nouveaux outils, et montre beaucoup moins de pertinence dans ses interventions. Si les résultats sportifs étaient là, cela passerait probablement presque inaperçu, mais au regard du contexte actuel, cela n’a fait que mettre de l’huile sur le feu. Les supporters, qui lui ont pourtant voué une adoration sans limite, n’adhèrent plus à son discours, et le considèrent même comme le principal fautif de ce déclin.
Dégât collatéral du mercantilisme, ou crise de croissance ?
Finalement, cela ressemble à une PME familiale qui se fait racheter par un grand Groupe, ou qui confie son capital à un actionnaire institutionnel extérieur. Les nouveaux arrivants déroulent la structuration en vue de rentabilité financière et, si rien n’a été anticipé et préparé, vont venir écraser la culture historique qui faisait l’ADN de l’entreprise, avec un dirigeant paternaliste qui se retrouve un peu perdu au milieu d’un nouveau mastodonte qui le dépasse, et qui a du mal à lâcher les manettes…
C’est sans doute la principale erreur de JMA dans cette histoire : aveuglé par les aspects économiques (qui peut lui en vouloir : il est avant tout un brillant entrepreneur), et sans doute par la réussite, il n’a probablement pas su s’entourer des bons conseils, animé par l’envie de personnifier de manière quelque peu égocentrique son club. Et il n’a pas su préserver l’ADN de l’Olympique Lyonnais, en se retrouvant seul aux commandes d’un paquebot beaucoup trop compliqué à manœuvrer pour une seule personne …
John Textor, élément déclencheur d'une prise de conscience ?
Dernier épisode, qui ressemble à une solution de secours mal préparée : l’arrivée de John Textor comme actionnaire majoritaire du club. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Cela dépendra du mode opératoire de l’Américain.
S’il s’agit d’un investissement purement économique ou politique comme au PSG, cela nous conduira au deuil définitif des belles années où les joueurs avaient la banane sur les photos d’avant-match … S’il c’est l’investissement d’un passionné, pourquoi pas … ?
Une chose est sûre : JMA, dans l’euphorie du succès économique, a oublié d’embarquer les ingrédients essentiels qui font le succès populaire d’un club de foot. Peut-être que John Textor y parviendra… ? C’est finalement le tour de force qu’a réussi un autre investisseur américain de la Ligue 1 : Franck McCourt avec l’OM. La version économique en termes de direction a été fort douloureuse (pauvre Jacques-Henry Eyraud, complètement hermétique aux codes du football), mais il a su en tirer les bonnes leçons et revenir à une version plus footballistique, avec Pablo Longoria qui a totalement relancé la machine …
Les premières décisions seront vitales
Comme l’a pourtant affirmé John Textor en mars dernier sur CNN, il est donc sans doute un peu court de dire que la gestion d’un club de foot revient au même que la direction d’une entreprise classique, mais l’exemple de l’OL permet tout de même de retenir quelques règles essentielles et communes, lorsque la structure évolue très rapidement au niveau économique. La principale étant que ce qui fait la réussite d’une organisation ne réside pas seulement dans ses résultats économiques, mais aussi dans son histoire et avec les personnes qui ont construit cette histoire.
Pour garantir cela, il faut impliquer d’une manière ou d’une autre les historiques qui serviront de trait d’union, et qui permettront de garantir le bon équilibre entre économique, sportif et médiatique. L’économique est une chose, mais il n’est rien sans l’état d’esprit et le collectif. Certains clubs comme le FC Barcelone ou le Bayern Munich l’ont bien compris, et préfèrent privilégier les jeunes formés au club, ou le recrutement de joueurs investis d’une vraie personnalité, en phase avec la culture du club. Leur modèle économique suit cette logique, avec succès.
Il est temps de tourner la page !
Comme l’indique le fameux proverbe chinois : “le poisson pourrit toujours par la tête”. Et pour le coup, quel que soit le secteur d’activité, cela se vérifie à chaque fois … Ne soyons pas méchants, et n’ayons pas la mémoire trop courte : Jean-Michel Aulas a été à l’origine des plus belles années de l’Olympique Lyonnais, il mérite tout le respect des supporters. Mais il est maintenant temps de passer la main, et de trouver une personnalité compétente pour diriger le club, tout en préservant son ADN.